Rien n'est précaire comme vivre.
ft. Maxwell & Siam
Rien comme être n'est passager.
D’un coup la musique mourut, laissant place à un silence envahissant. Une gamme chromatique. Les coudes sur le rebord sur clavier, son faciès enfouit dans ses mains, il subissait sans un mot le reflux des idées dont il n’avait pas pu assurer le mutisme. Son chien. Le chaos explosait par épisodes, de plus en plus étendus, de plus en plus fréquents. John Hopkins. Ses doigts se resserraient sur des mèches de ses cheveux et ses ongles s’enfonçaient dans la chair de ses paumes. Le coup de Sanz. La mâchoire serrée, les muscles contractés, tout son corps faisait barrage à l’explosion confuse qui abimait un peu plus l’architecture de ses pensées. Les cellules de Purkinje. Déglutir fut pénible comme si sa gorge ne voulait pas prendre le risque que son estomac ne vomisse violemment ce surplus de tension. Rebecca. Captif de la caverne, il ne pouvait qu’observer les ombres des idées onduler devant lui dans un discours décousu et agrammatique. La classe S. Le supplice déformait même sa perception du temps, l’empêchant de réaliser son caractère encore éphémère. Le cendrier. Il ne pouvait qu’attendre que ça se termine. Oliver Sacks. Sur le sol, le verre était brisé en une myriade d’éclats scintillants, noyés dans un lac de sang. Un poivron.
Trois coups rapides furent portés sur du bois lourd qui en étouffa la portée. Maxwell releva la tête, libéré de son enfer personnel par cette incursion de la réalité. L’agencement de contractions infimes des muscles sous la peau de son visage sculptait l’allégorie de la confusion. Il ferma les yeux et secoua la tête pour chasser le cauchemar alors que son cœur tambourinait encore à un rythme douloureux. Chaque contraction était trop forte, le métronome ventriculé prenait de l’élan dans l’objectif de s’échapper de sa poitrine en brisant son sternum dans sa fuite. En rouvrant les yeux, il remarqua le verre brisé sur le sol à côté des pieds du clavier. Il ne l’avait même pas entendu ou vu tomber. Il était certain que son attention avait été complètement accaparée par la scène chaotique qui s’était jouée dans son cerveau mais l’hypothèse que ses sens décident de se joindre à la partie et de le tromper eux aussi était particulièrement désagréable. Son regard longea le sol pour se relever sur la porte d’entrée, massive mais si petite de loin. Une question s’imposait désormais à son esprit scarifié par l’épisode dérangé. Le tambourinement sur la porte était-il réel ? Peut-être était-ce la même mélodie qui s’invitait désormais sur un terrain boisé pour annoncer un nouvel accès de démence. Il déglutit plus facilement, son regard fixé sur la porte de l’autre côté du salon. L’attente dura entre quelques secondes et une éternité, meublée par l’espoir que d’autres coups soient portés, confirmant par la même de son retour dans une réalité organisée.
Un soupire lourd quitta ses lèvres et il secoua la tête une dernière fois avant de se lever. Ses doigts trainèrent sur les touches du clavier pour rapidement faire résonner les notes de l’œuvre interrompue dans sa création. Ce retour en six notes à la normalité transforma la moue inquiète en un petit demi-sourire. Toute une symphonie d’angoisses se composait, accordant les questions aux hypothèses autour du thème de cette déliquescence soudaine de son esprit. Mais ses notes ne se jouaient pas encore dans son esprit, l’organe était anesthésié. Il quitta l’instrument pour rejoindre la porte et passa encore une main sur son visage, pourtant conscient qu’il ne s’agissait pas d’un cauchemar qu’un café pouvait chasser. Sa progression fut interrompue par la rencontre maladroite de son corps avec une chaise et il roula des yeux. Mais qu’importe, il finit tout de même par ouvrir la porte sans s’interroger sur qui pouvait être derrière, saisissant cette occasion de revenir à un fonctionnement normal. Et cette occasion était une jeune femme, une tête de moins que lui. La peau olive, une imposante quantité de cheveux noirs tressés sur une belle longueur et un corps qu’il devinait fin grâce aux traits de son visage mais qui avait disparu sous plusieurs couches de vêtements. C’était évident qu’elle n’était pas dans une situation facile et cette idée dérangea Maxwell. Il la regardait de haut, littéralement et métaphoriquement. Impeccable dans sa chemise blanche parfaitement amidonnée, aux boutons de manchettes portant ses initiales, le pantalon noir et les chaussures en cuir cirées, aucune mèche de cheveux autorisée à dépasser. Comme à son habitude, il donnait l’impression de travailler dans une banque ou un bureau d’assurances, seule la cravate lui manquait. Pourtant il était simplement chez lui à jouer du piano et à perdre l’esprit.
Le regard de Maxwell était un subtile mélange de mépris et d’ennui. De quel droit venait-elle ainsi s’inviter dans son monde et pourquoi le concierge n’avait-il pas fait son travail de sélection à l’entrée de l’immeuble ? Peut-être était-elle passée en douce pour espérer voler quelqu’un chose d’au moins un peu précieux. Il amorça d’un geste la fermeture de la porte en lui disant sur un ton hautain qu’il n’avait pas d’argent avant que quelque chose ne lui passe entre les jambes. Son expression se transforma alors rapidement en celle d’un gamin le matin de Noël. Turing était rentré après quatre jours d’absence. Il s’accroupit pour accueillir son animal qui lui faisait une fête incroyable et eu droit à un énorme coup de langue sur le visage qui lui arracha un rire sincère. « Mon dieu, mais quelles frayeurs tu me faits toi des fois ». Son cœur battait de nouveau à un rythme trop rapide mais l’émotion que ce tambourinement générait était bien plus agréable. Turing détalla dans l’appartement et Maxwell se releva. Son regard sur l’inconnue avait changée puisqu’elle était désormais celle qui lui avait ramené son plus fidèle compagnon. L’animal n’avait pas l’air d’avoir souffert de ces quatre jours d’escapade et son propriétaire en était véritablement soulagé.
« Merci », commença-t-il sans vraiment savoir ce qu’il était censé ajouter. Ses facultés mentales étaient toujours en partie anesthésié par l’épisode qu’il venait de vivre. Il se rappela alors de la précision qui avait accompagné les différentes annonces. « Bouges pas », lui suggéra-t-il avant de retourner dans son appartement, traverser le salon pour se rendre dans sa chambre et récupérer son portefeuille. Les annonces pour les animaux perdus étaient souvent plus fructueuses lorsqu’une récompense les accompagnait et le petit bourgeois qu’il était n’éprouvait aucune difficulté à faire monter les sommes. Il se fit la remarque que c’était sans doute pour cette raison qu’elle lui ramenait l’animal, sans doute avait-elle couru dans toute la ville pour retrouver cet idiot de chien. Il roula d’ailleurs des yeux en récupérant les billets en se disant qu’ils allaient finir dans de la drogue ou de l’alcool, et même pas une belle bouteille de vin italien. Il s’était engagé et devait payer mais clairement, il aurait préféré que quelqu’un d’autre lui ramène son chien, que son argent soit investit proprement. De retour près de la porte, il lui tendit les cinq billets de cent dollars promis dans l’annonce. « Chose promise, chose due », se contenta-t-il d’ajouter.
Turing se ramena dans l’affaire pour tourner autour de la jeune femme en remuant la queue. L’animal était à l’image de son maitre, pas réellement sociable. C’était même plutôt rare qu’il montre son appréciation à un autre humain que celui qui le nourrissait. Le chien tacheté se redressa sur ses pattes arrières pour poser ses pattes sur sa cuisse et quémander des caresses, arrachant à son propriétaire un sourire attendri. Sans doute que sa sauveuse avait bien pris soin de lui, hypothèse qui nuançait le jugement automatique que Maxwell avait porté sur elle avant même qu’elle ne puisse ouvrir la bouche. Il se sentit un peu stupide sur le moment, lui cet homme de science qui n’avait pas regardé plus loin que le bout de son nez face à quelqu’un qui n’était pas assez bien habillé pour lui. « Est-ce que tu veux un café ou quelque chose ? Je dois admettre que je suis curieux de savoir ce qui s’est passé entre vous. » Voilà qui pourrait occuper son esprit, loin des mélodies maudites.
C'est un peu fondre pour le givre.
Et pour le vent être léger.
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